L'AVOCAT CAILLOUE

"Une mauvaise femme tue comme le venin de l'aspic."
(Ménandre, Sentences, 261)

"La mauvaise femme est comme la couple de bœufs qui se remuent.
 Celuy qui la tient, est comme celuy qui prend le scorpion."
(Ecclésiastique, XXVI, 9-10)

            L'avocat Cailloue, "avec un E", est calleuse, non pas des pieds ou des mains, mais d'esprit.
            Elle a cette capacité des gens que l'on nomme quelconques à être, à la fois, grasse, lorsqu'elle désire être fine, et courte, lorsqu'elle pense enfin pouvoir exprimer une idée.
            Son haleine est fétide, comme celle de Fanchon suppure de serpents et de crapauds. 
            Elle n'a de profondeur que superficielle, et c'est là son plus grave défaut.
            Elle en a d'autres, bien sûr, comme l'irrégularité (elle ne sait respecter ni les accords ni les délais), l'inculture (elle n'a jamais terminé de lire aucun livre, elle n'a surtout jamais pu en commencer un), ou encore la médiocrité (même en cela elle n'a jamais pu avoir d'excellence).
            Avant tout, elle n'est pas fiable. Ce n'est pas une question de fidélité, un avocat devrait être impartial - comme on s'en doute, elle ne l'est pas -, mais c'est une affaire de morale: il ne faut espérer d'elle ni éthique professionnelle, ni personnelle.
            C'est un petit poisson pilote, qui fait des cabrioles derrière les relatifs requins de son barreau de province, comme la petite frappe court derrière le maquereau gominé en croyant qu'il en pourra tirer une bouffée, ou une ascension. Alors que l'autre ne dirige, qu'avec difficulté encore, ses deux ou trois putains.
            Notre avocate Cailloue, "avec un E", n'a donc pas même la moindre ombre de sens commun.
            Bien sûr, tout le monde aura appris à la connaître, dans la cour des miracles des pas perdus. On sait, surtout ceux qu'elle aide, plus que ses détracteurs, qu'elle ne vaut rien. Dans le milieu, ce serait une balance. Dans le monde légal, elle n'est qu'un instrument. C'est elle qui passe les dossiers confidentiels, qui prépare les attaques, qui s'ingénie à maltraiter ses clients pour faciliter le travail de la partie adverse.
            On la fuit, mais, comme elle est utile, on lui donne toujours les miettes. Si elle n'a pas ou que peu de clients (sa S.A.R.L. n'est faite que d'elle, et la secrétaire en est elle-même), et pour cause, elle reçoit pourtant systématiquement les Aides Juridictionnelles.
            Comme cela est un cercle vicieux, elle en veut plus à ses clients, qui ne la paient pas, qu'à ses mentors qu'elle croit pouvoir tromper comme elle croît tromper le système, qui ne fait que l'user selon ses besoins et au mieux de son incompétence générale, et comme elle croît tromper ses clients, qui simplement n'ont pas l'argent pour la fuir et se payer une personne normale.
            Elle vit dans un petit appartement. Dans sa misère de Cousine Bette, elle a quand même la chance de vivre à la campagne où les prix sont moins chers. Un jour, elle pourra s'acheter une grange à rénover. Ou reprendre celle de ses parents.
            Elle n'a pas vraiment d'amis, elle n'a que de vieilles connaissances du collège, qu'elle salut au supermarché; ce n'est pas compliqué dans un si petit chef-lieu départemental. Elle n'a pas d'amour, juste des hommes. Elle s'en méfie d'ailleurs, des hommes. Ils ne l'ont jamais maltraitée, les hommes, mais on lui a dit qu'ils pouvaient être mauvais.
            Comme elle n'expérimente rien par elle-même, et qu'elle n'a que peu d'initiative, elle doit bien faire avec ce qu'elle comprend de ce qu'on lui dit.
            Ce qui lui a fonctionné pour se diplômer, réussir à se copier, passer après beaucoup de redoublements, c'est pourquoi on est surpris lorsqu'on la connaît de voir que, n'ayant passé son certificat d'aptitude à la profession que depuis moins de cinq ans, et n'étant inscrite au barreau que depuis moins longtemps encore, il s'agit d'une dame d'un âge moyen, dont on ne peut peut-être pas dire qu'il s'agisse d'un âge certain, mais si déjà, sûrement, d'un certain âge.
            Elle n'est ni belle, ni même passable. Elle n'a aucune étincelle, ni physiquement, elle n'a pas l'oeil qui brille, ou la moue boudeuse attractive, ni mentalement, elle n'est pas spirituelle, elle n'est pas ingénieuse, ni surprenante, ni connaisseuse, ni amateur, ni, encore moins, passionnée. Elle vit comme les boeufs, au jour le jour.
            Si l'on veut croire à la science morphologique et à la physiognomonie, on reconnaîtrait facilement dans son corps, tassé, rond, avec son visage, boursouflé, marqué par une acné si aiguë qu'elle a cicatrisé comme un vestige de guerre, dans ce corps trop terrestre, dans cette démarche légèrement chaloupée, non par la coutume de la danse mais par l'incommodité des pieds et des jambes comme jambons sous la robe, et dans l'excès de glandes sébacées, la parfaite expression visuelle de ce qu'elle est dans l'âme et dans le comportement. Basse, vulgaire, lente, lourde, pesante, comme ces vieux chevaux de trait, qui ne se déplacent qu'à contrecœur. Mais étant femme, elle n'a, malheureusement pour elle, pas les excuses de la bête.
            Toutefois, méconnaissant Pascal, comme tout autant d'autres choses, elle tend toujours, voulant faire l'ange, à ne faire que la brute.
            Vieille fille aux rares expériences, car même les plus aventureux n'aiment guère ce type de terra incognita aride et amère, l'âge et, peut-être, un animal domestique ne demandant que peu d'attention, et, de préférence, silencieux, comme un couple de poissons rouges (pour la couleur, et pour qu'étant à deux ils ne l'embêtent pas trop), sont à peu près ses seuls amis. Car ils ont l'avantage de ne pas la contredire.
            Comme elle ne comprend à peu près rien, elle a l'opinion du Crésus de Raynaud: "Si quelqu'un vous parle de quelque chose et que vous ne comprenez pas ce que cette personne vous dit c'est que cette personne est bête!"
            Enfin, elle fait partie de ces personnes que leur simple contact semble vous salir. Elle est sale, là encore, non pas peut-être physiquement, même si rien dans son apparence ne dénote la plus infime attention portée à sa présentation, ni un goût quelconque sauf pour le mauvais, mais moralement. Elle rabaisse tout dès qu'elle le touche du bout de sa langue, du bout juste de la pensée. C'est une sorte de Midas à l'envers. Elle transforme tout en tourbe stérile.
            Elle serait comme un triste gerfaut dont l'aile par le simple frôlement aurait la capacité de faire faner toutes les fleurs, de décharner toutes les plus belles jeunesses, de mettre à mal les meilleures intentions.
            Ce n'est pas la Moire, elle n'a pas assez de talent. C'est plutôt un fléau silencieux.
            Elle croît penser, parce que par erreur, au collège, on lui a fait croire que le simple fait d'être humain vous en donnerait la capacité. Mais, comme la bêtise est une forme de paresse, elle qui est très bête, elle pense qu'elle pense, mais sans penser. Ce pourrait être un cas d'école, si ce n'était pas, tristement, un cas anthropologique.   
            Comme toutes les personnes de son espèce, elle croît, par conséquent, qu'il n'y a pas d'effort à faire pour comprendre les choses. Cela lui semble être donné, avec la nature, et, dans son cas, avec l'emploi. Mais, comme ce n'est, évidemment, pas le cas, elle ne fait rien qu'en permanence le ridicule.
            Elle ne comprend pas les textes des Codes, qu'elle n'a d'ailleurs jamais lus qu'en diagonal - elle est la parfaite illustration, comme une image d'Épinal, du fait que, dans les Tribunaux français, prévaut la loi de fait, c'est-à-dire l'usage, sur la loi écrite. Elle intervertit les exemples et confond les concepts, elle se trompe sur le sens de la loi, surtout en ce qui concerne son esprit.
            Il faut dire qu'elle a déjà du mal avec sa lettre.
            Elle ne lit pas trop bien. Elle lit comme elle parle. À l'emporte-pièce. À la force. Elle ne parle que comme les zonards dans les villes qu'elle n'a jamais connues, en criant. Et elle pense comme elle parle, en croyant que le cri est l'expression d'une idée.
            Elle n'exprime donc rien qui soit compliqué, car sa pensée est un borborygme permanent, sa parole n'est que la logorrhée la plus basique, un langage verbeux et peu compréhensible qui couvre des banalités, des incohérences et des contrevérités, avec un manque notable d'argumentation claire.
            Elle n'argumente d'ailleurs rien, car cela lui coûterait trop. Comme elle n'a jamais rien appris, elle fonctionne sur le mode binaire du Bien et du Mal, mais comme un Grand Inquisiteur espagnol d'Estrémadure, qui n'aura jamais eu accès à aucun livre, trop éloigné qu'il est de tout centre, et qui s'est fait une idée très générale des choses en fonction de ce qu'il a compris des souvenirs des autres, et des citations de la Bible le dimanche à l'église.
            Comme elle n'a, pourtant, pas de principe particulier, elle est, paradoxalement, assez souple, sinon dans son corps, qui n'est rien moins qu'élégant, ou dans son esprit, qui n'est que rustique, mais au moins dans l'élasticité de sa morale, partie excessivement plus intangible de l'être, dont beaucoup pourraient soupçonner qu'elle n'en a pas plus que pour Descartes les animaux n'ont d'âme.
            Une chose est sûre en tout cas, elle avance dans la vie absolument mécaniquement, avec une seule fonction, monétaire, un seul principe, l'intérêt, une seule loi, celle du plus fort.
            Pour cela elle sert aussi bien le système qui, comme il se doit, se moque d'elle.
            C'est le chien de la maison, à qui l'on tire les os depuis la salle à manger, mais qui, sur le seuil, remue la queue, ou le mendiant que les prétendants insultent, mais qui accepte les coups de pieds et de latte, du moment qu'il reçoit les miettes du repas seigneurial, avec tout et les restes d'épanchements salivaires.
            Plus qu'utile, elle est ainsi indispensable, car elle tourne la loi, et la contourne, avec la plus parfaite mauvaise foi qu'aucun juriste, même le plus corrompu, mais qui aurait, au moins, franchi le pas d'une quelconque université à un moment de sa vie, n'oserait le faire.
            C'est l'avantage de cumuler dans cet être fondamental, l'absence d'âme, une morale des plus sommaires, un esprit inexistant, et un corps basique. Elle ne se distingue en rien. Elle n'aura jamais été notable.
            Elle existe parce que le hasard l'a posée là. Et elle y reste. Comme la roche tombée sans s'en rendre compte interrompt le cours du ruisseau, et l'empêche de devenir fleuve pour se jeter dans la mer.
            Elle est comme le réchauffement global. Elle existe sans le savoir. Elle agit sans se connaître. Et, comme celui-ci, ses effets sont les plus néfastes qui puissent être, mais puisqu'elle sert les intérêts des plus puissants et des plus corrompus, comme l'Ariel de Misserimus Dexter, avec "son pas lourd et bruyant, avec l’obéissance muette d’un animal apprivoisé".
            Elle vole, elle triche, elle ment, elle pourrit tout sur son passage. Elle argumente contre ses propres clients, elle fait même perdre le bénéfice minable de l'orphelinat aux enfants trouvés, et celui de la liberté de choix aux petits vieux qui ont la misère d'avoir une pension raisonnable et ne veulent pas finir au fond d'un hospice. Elle est le marteau favori des Sprenger et Institoris, des charognards de la tutelle.
            Comme le Mal, dont elle joue, elle est là, permanente, immobile, silencieuse, absente, elle a l'immortalité des Thénardier.
            Et nous, les hommes, ne pouvons qu'en avoir de la tristesse.

            Car, graveleuse et purulente, c'est à elle que le système judiciaire confie la charge de protéger les droits du justiciable, elle qui ne sait rien car elle n'a jamais rien appris, qui ne connaît rien parce qu'elle n'a jamais rien lu, qui préjuge, et donc qui méjuge, de tout car elle n'est pas capable, dans sa pauvre cervelle carente même du plus basique sentiment de la compassion, d'organiser l'ombre d'une réflexion.

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